Red Son

Je vous entends déjà hurler : oui, le comic-book d’aujourd’hui, Red Son, est ENCORE un opus scénarisé par Mark Millar. Et à vrai dire, le prochain aussi puisque la prochaine chronique sera (enfin!) celle de Old Man Logan. Mais attendez ! Ne partez pas tout de suite : ces deux histoires sont bien bien différentes de ce que j’ai pu chroniquer de lui jusqu’à aujourd’hui, puisque ce ne sont pas des productions indépendantes mais des récits édités respectivement par DC et Marvel, et mettant en scène les grands héros des deux compagnies. Rassurés ? Alors concentrons-nous un peu sur ce Red Son…

 

La série « What if« , publiée par Marvel à partir de 1977, proposait un contexte assez original : prenez un événement crucial arrivé sur la Terre-616 (la Terre « classique » des aventures Marvel) au cours duquel une décision importante a due être prise, et regardez ce qu’il se serait passé si cet acte avait eu d’autres conséquences. La série, plutôt méconnue chez nous, était vraiment intéressante, et laissait une grande place à l‘imagination des scénaristes qui pouvait enfin se démarquer des trames officielles. Des histoires sérieuses (Que se passerait-il si les Vengeurs n’avaient jamais existé ? Que se passerait-il si le monde savait que Daredevil est aveugle ?) développant des questions originales, jusqu’aux histoires un peu plus folles (Que se passerait-il si Thor combattait Conan le Barbare ? Que se passerait-il si Iron Man était coincé au temps du roi Arthur?), l’ensemble était surtout marqué par un certain pessimisme, les récits se terminant rarement bien. Le seul personnage vraiment récurrent était Uatu, le Gardien surveillant les réalités parallèles et qui servait de façon anecdotique de narrateur, plongeant le tout dans une ambiance très proche de ce qu’ont pu être les Contes de la Crypte, de façon bien moins glauque néanmoins.

Pourquoi un tel « historique » ? Parce qu’à mon sens, Red Son est le digne héritier de cette série par son approche et sa fin surprenante, bien que prenant place dans le DCverse plutôt habitué à la série Elseworld. Tout le monde connaît parfaitement Superman et ses origines, comment le bébé kryptonien s’est écrasé sur la Terre dans un coin perdu des Etats-Unis appelé Smallville, et comment il a été élevé par le couple de fermiers Kent. Et si, et si au lieu d’atterrir chez les Américains, l’Homme d’Acier avait été recueilli en URSS, devenant l’emblème de tout un régime communiste ? C’est sur cette idée que démarre Red Son.

Impossible de raconter le scénario sans en dire trop. Mais comme souvent, Millar livre une histoire très intéressante, plutôt dense, parfois même trop. En effet, certains passages semblent à peine survolés (promis, y’a pas de blague ici !) alors qu’ils sont essentiels à l’histoire: en particulier les relations entre personnages, à peine ébauchées, alors que le contexte de Guerre Froide s’y prêtait parfaitement, obligeant les protagonistes des deux camps à se fréquenter. En dehors de cela, Millar évite le principal défaut de ce type d’uchronie (un coté parodique trop prononcé pour s’immerger dans l’histoire) et livre un récit vraiment brillant, multipliant les références sans jamais surcharger la trame principale, que ce soit le temps d’une case avec l’apparition d’un villain emblématique ou dans le caractère d’un personnage principal. Car pour Millar, peu importe quelles sont nos origines, notre nature profonde finira toujours par ressortir, justifiant ce flot de liens avec l’univers classique de DC. On aura aussi le droit, bien évidemment, à tout un tas de bastons entre costumés, même si la violence particulière de Millar est ici complètement absente pour cause de lectorat plus jeune. Et que dire de cette fin magistrale, qui resserre de façon étonnante les liens entre Superman et Luthor, sa Némésis de toujours.

Chose un peu inhabituelle, il y a deux dessinateurs pour les trois numéros que comprend la mini-série : Dave Johnson et Kilian Plunkett. Bien loin du style hyperréaliste d’un Alex Ross ou d’un McNiven, les deux livrent une partition presque parfaite, le changement d’artiste se faisant très peu sentir. Avec une esthétique très dessin animé, l’ensemble garde une cohérence rare pour un travail fait à quatre mains, magnifiquement mis en valeur grâce des couleurs et un encrage particulièrement bons. Et que dire des costumes des « héros », juste superbes tant dans le style que dans l’idée : d’une façon prévisible, Superman n’arbore pas son magnifique S, mais bien un logo reprenant le marteau et la faucille communistes sur son costume classique, avant d’opter pour un habit plus sombre, coloré de rouge de gris et de noir, avec un col haut donnant son statut de haut dignitaire russe. L’apparition du Dark Knight est elle-aussi inoubliable (hé oui, celui-ci, anarchiste russe, a un rôle très important dans le récit…) dans son costume proche de celui d’un militaire, et dont les oreilles du masque ne sont… que dues à sa chapka !

Red Son est une histoire vraiment attachante qui se permet de bouleverser la mythologie connue de l’Homme D’Acier pour mieux la revisiter. Un grand récit qui mérite un peu plus de reconnaissance.