Depuis que j’ai ouvert le blog, je savais qu’un jour je parlerais d’In Memoriam. Le tout était de savoir quand. Et c’est Rémy dans son petit jeu du Vidéo Game Tag qui m’a donné envie de le faire maintenant. Le temps d’y penser, d’y repenser, de rassembler ses idées, et enfin de se lancer, peut-être le plus compliqué. Maintenant que j’ai commencé à écrire, je ne lâche plus mon clavier, pour parler de ce qui est sans aucun doute possible ma plus belle expérience vidéoludique.
In Memoriam. Un nom qui est sans doute inconnu de beaucoup d’entre vous.
Tout commence lorsque Jack Lorski, reporter pour SKL Network, découvre un peu par hasard que plusieurs meurtres à travers l’Europe semblent liés. Mais lors de l’enquête qu’il mène, il disparaît étrangement sans laisser de trace. Quelques jours plus tard, SKL reçoit un étrange CD-ROM noir, le Black CD, envoyé par une personne s’appelant « Le Phénix ». Celui-ci lance un défi un brin macabre : résoudre les énigmes du CD pour retracer le parcours de Jack et avoir une chance de le retrouver. Devant leur inefficacité à avancer, les dirigeants de SKL décident de publier à grande échelle le disque, en espérant que des enquêteurs amateurs les aident…
C’est là que le jeu est impressionnant. Le héros, c’est VOUS, avec vos qualités, vos défauts et vos méthodes, et personne d’autre. L’existence même du jeu est justifiée par le scénario : déstabilisant comme situation. Pour progresser, il faudra donc résoudre des énigmes qui dévoileront petit à petit l’histoire et les motivations du tueur tout en reconstituant le journal vidéo de Jack dont des parties sont offertes après chaque victoire. Chaque énigme se présente comme une sorte de tableau fixe fonctionnant avec ses propres codes, sa propre logique, et mettant les neurones du joueur en feu. Internet est bien évidemment l’outil principal de recherche, par sa rapidité. Mais absolument tout est utilisable, de l’encyclopédie à n’importe quel bouquin en passant par une information que vous auriez entendu il y a plusieurs années, la quasi-totalité des renseignements à obtenir se référant à des connaissances ou des événements réels. Mais le joueur n’est pas vraiment seul dans l’aventure: quelques intervenants le contacteront fréquemment par mail pour lui fournir leurs propres avancées, leurs propres idées ou des renseignements complémentaires sur le scénario. Et là où le vice est poussé au maximum, c’est qu’il est possible de les contacter en retour, et d’échanger de véritables mails avec eux ! Il est assez étrange d’entretenir une véritable relation par mail avec ce qui est sensé être le personnage d’un jeu vidéo, répondant avec humour à vos piques ou à vos demandes de rencontres…
Je vous laisse imaginer l’émotion, avec son petit pincement au ventre caractéristique, que j’ai pu ressentir lorsqu’un jour, tout à fait par hasard, j’ai vu la petite fenêtre « Le Phénix vient de se connecter » sur MSN. Une impression vraiment étrange de ne plus savoir où l’on est, de voir se télescoper la réalité et ce qui est sensé être un jeu. Et le dialogue qui s’en est suivi, obligeant à jouer avec le tueur pour espérer lui soutirer des informations, pour le provoquer, lui restant toujours dans sa froideur extrême. Une expérience vraiment déboussolante, mais marquante comme jamais. IM est certainement le seul jeu, et même le seul médium à m’avoir obligé à revoir tous mes réflexes, à appréhender la totalité de l’aventure comme si c’était la réalité, créant une immersion sans faille et diablement accrocheuse. Le type d’aventure qui vous reste toujours en tête, où le moindre échec sur une énigme tourne et tourne dans le cerveau, les idées de résolution se déclenchant un peu n’importe où, ne vous donnant qu’une envie : trouver un ordinateur pour vérifier cette inspiration soudaine.
Cette force, due en grande partie au concept, est renforcée par la crédibilité importante du jeu dans son ensemble. Le CD lui-même sent « l’amateurisme » du Phénix qui a du le créer en seulement quelques jours, employant des technologies accessibles comme Quicktime, Flash et Shockwave. Même les nombreux bugs de connexion ou les plantages renforcent cette impression de fait main. Les énigmes sont illustrés de visuels sales, tourmentés, qui respirent la folie et le mal-être, imprégnant le joueur de toute cette ambiance glauque qui tire rapidement sur le mystique, l’aventure ayant un caractère religieux assez important. Les musiques elles aussi sont marquantes : le thème principal, entre musique aux accents religieux et sons plus synthétiques, suffit à mettre mal à l’aise et à perturber le joueur. Absolument tout est cohérent, dans le moindre détail, créant une ambiance étonnante de réalité.
Thème du jeu : In Memoriam Twelve Theme
Après un add-on d’une difficulté extrême qui s’attachait au parcours de l’amant de l’une des victimes du tueur, un second épisode voit le jour en 2006, trois ans après le premier, et introduit quelques nouveautés surprenantes : un site pour centraliser les joueurs, permettant de trouver de l’aide très vite en cas de blocage, renforçant le coté « véritable enquête » où tout le monde travail main dans la main, mais surtout l’introduction du téléphone dans l’affaire. Il est possible de souscrire à un système de SMS, l’enquête continuant ainsi de façon encore plus intense même lorsqu’on est éloigné d’un ordinateur. L’implication du joueur est ainsi encore élevée d’un niveau, dans des proportions assez étonnantes. Au cours de l’aventure, il est ainsi nécessaire d’obtenir le surnom qui a été donné à un détective indépendant qui a eu un lien avec l’enquête. S’il est possible de se débrouiller en fouillant le Net pendant un certain temps, la solution la plus rapide, mais la moins instinctive, fait appel au téléphone. Il suffit d’appeler l’ancien associé du détective pour essayer d’obtenir l’information. Bien entendu, il faudra ruser, le renseignement n’étant pas donné comme ça. Du vrai jeu de rôle grandeur nature, qui fait appel à ses propres talents de comédien. Juste jouissif.
Ce coté réalité qui dépasse la fiction est assez étrange à raconter, mais surtout à comprendre pour quelqu’un qui n’a pas vécu l’aventure. Imaginez vous dans l’état de fatigue dans lequel vous êtes habituellement après une session de gaming de plusieurs heures. Il est 3h du matin, et pris dans le jeu, vous n’arrivez pas à poser votre souris/manette, tellement le scénario vous porte et vous donne envie de continuer, de ne rien lâcher avant la conclusion de l’histoire. Les yeux presque larmoyants, les muscles douloureux, le cœur battant la chamade, le charme est rompu d’un coup lorsque votre téléphone se met à vibrer. 1 nouveau message reçu. Et là, votre douzaine d’heures de jeu d’affilée vous fait entrer dans un état étrange. Car le message que vous venez de recevoir sur votre propre téléphone est signé du Phénix et annonce son arrivée prochaine chez vous… C’est ce que j’ai vécu le jour de la sortie du deuxième épisode, après 15h de jeu presque non-stop. L’histoire ne s’arrête pas tout à fait ici, puisque dans la foulée, je suis allé me coucher pour effacer ce malaise. A mon réveil à 7h du matin, j’ai découvert un autre message en attente, toujours du Phénix, qui me disait être venu à mon appartement et avoir frappé à ma porte, sans obtenir de réponse. Ou comment replonger dans le jeu à peine éveillé. Un sentiment inoubliable, fort, qui aura marqué ma vie de joueur.
Mais IM aura aussi été une expérience humaine : j’ai rejoint un groupe de fans du jeu, un peu après la création, pour partager notre expérience de jeu et essayer de trouver tous les petits secrets disséminés ça et là dans les vidéos de Jack. Nous avons eu la chance d’obtenir le soutien et la participation d‘Eric Viennot, le créateur d’IM, et l’aventure a pu continuer à coté du jeu, avec des énigmes bonus qui nous emmenaient ça et là sur la Toile, nous donnant des indices sur l’orientation qu’allait prendre la suite des événements, nous permettant d’accéder à des documents inédits et bien planqués comme les journaux intimes de divers personnages. Une véritable communauté qui s’était baptisée Confrérie Anti-Phoenix et qui m’aura permis de faire la connaissance de personnes vraiment intéressantes. Quelques luttes de pouvoir à l’intérieur du groupe auront quelques peu gâché l’expérience à la fin, mais certaines de ces personnes sont encore aujourd’hui de vrais amis sur qui je peux compter. Sans compter ma rencontre avec EV, un souvenir vraiment intense d’une personne très accessible et qui aime son métier, intéressant dans les moindres détails racontés.
Plus qu’un jeu, IM aura été une expérience essentielle. C’est lui qui m’aura appris à disséquer une production, à voir comment un jeu aussi à part peut voir le jour avec toutes les difficultés logistiques que cela implique, le travail nécessaire d’écriture et de repérage pour pouvoir obtenir une histoire cohérente qui se sert de tous les média existants pour transmettre. Malheureusement, le Net étant toujours en évolution, IM devient difficilement jouable aujourd’hui : des sites créés pour le jeu disparaissent, les emails ne sont souvent plus envoyés, les infrastructures gérant les appels sont depuis longtemps coupées… Un jeu qui ne vivra aujourd’hui plus que dans les mémoires, en attendant un futur « Projet Twelve » qui devrait reprendre quelques uns de ces codes, tout en s’ouvrant aux réseaux sociaux.
En tout cas, je ne peux que vous souhaiter de rencontrer cette perle qui vous fera vibrer si vous ne l’avez pas encore trouvée, qui vous permettra de de ressentir des émotions « nouvelles » et de voir que oui, le jeu vidéo aussi peut-être un art, un vecteur de sensations impressionnantes lorsqu’il est bien utilisé.
Teaser du second épisode, qui reprend l’une des vidéos du jeu :
Le thème d’IM est la propriété de L2P, son compositeur.
Alors, ça, je connaissais pas du tout, même de nom. Et c’est qu’en plus, il a l’air énorme comme jeu, j’adore ce concept horriblement déstabilisant. C’est un jeu qui se trouve encore facilement ?
Le premier est introuvable, le second se trouve parfois dans les gammes budget. Mais comme je le disais plus haut, il devient quasiment impossible d’y jouer vu que les mails, les SMS et certains sites disparaissent…Ne gaspille pas ton argent.
Pas mieux. Tout pareil.
Lire ton article me ravive à l’esprit des souvenirs exceptionnels, et que je n’ai jamais vécu ailleurs. Je m’étais plongé dans le jeu comme rarement auparavant, l’immersion ne se faisait pas seulement devant l’écran, mais ‘pour de vrai’, je m’en souviendrais toute ma vie 🙂
Merci encore pour ce ce devoir de mémoire :3
Encore un jeu que j’avais raté à l’époque, faute de PC 😐
J’en ai eu le coeur qui bat rien qu’à lire ton article. Je regrette d’être passé à côté de cette expérience, ça devait juste être dingue à jouer … si on peut encore parler de jeu à ce stade d’implication. Moi qui cherchais à me torturer les méninges, je pense que ça aurait été une expérience qui m’aurait particulièrement plu.
Je t’envie avec tes quelques années de plus, ces années qui t’ont permis de découvrir des titres comme celui ci quand moi je commençais tout juste à m’intéresser au net et autre :p !
Enfin bref, un article poignant !
Oh mon dieu il était énorme ce jeu. J’y ai joué étant gamin avec les mails sms et tout.
Que du bonheur 😉
Probablement un des meilleurs jeux auquel j’ai joué. Sans parler de la confrérie qui en a suivi …